L’agriculture urbaine dans une nouvelle dimension
La Scael, coopérative d’Eure-et-Loir, porte un projet inédit : lier le monde rural et le monde citadin au sein d’un « agri-quartier » sur un ancien site de collecte.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
En sous-sol, sur les toits, les murs, dans des bacs… L’agriculture urbaine fleurit à chaque coin de rue. Aujourd’hui, 120 structures emploient environ 500 salariés. Le plus souvent, les volumes de production de ces start-up ou associations restent faibles par rapport aux besoins alimentaires. La Scael, coopérative céréalière d’Eure-et-Loir, a décidé de s’inscrire dans cette tendance, mais dans une autre dimension. Elle va construire un « agri-quartier ».
À Lucé, sur le site de Malbrosses, dans l’agglomération de Chartres, la Scael possède 8 ha, avec trois silos horizontaux et un silo vertical. Vétuste et difficilement accessible en tracteurs ou en camions, le site de collecte était voué à disparaître. Plutôt que de le détruire, la coop a fait le pari de le transformer en ferme urbaine. « Nous voulions garder l’architecture du site, comme symbole de l’adaptation de notre agriculture, explique Éric Brault, président de la Scael. Notre objectif est de réconcilier producteurs et consommateurs, montrer que les deux mondes sont capables de vivre ensemble, sans trop de contraintes. » La ville et la campagne seront donc réunies au sein d’Olis, anagramme de silo.
250 logements, une crèche, une maison médicalisée pour les personnes âgées, un restaurant avec des produits locaux vont être créés. Pour le chauffage, la chaleur devrait être récupérée d’une fonderie voisine. Des panneaux photovoltaïques sur les toits des immeubles produiront de l’électricité. Il n’y aura pas de circulation sur le site, mis à part pour les livraisons. Les voitures seront garées en sous-sol ou dans un parking en hauteur, pour préserver l’espace dédiée à la production. Un hectare de terre sera réservé à des techniques de maraîchage innovantes. Un magasin de produits locaux valorisera les productions des adhérents de la coop. Le site sera aussi à vocation touristique : ouvert et pédagogique.
Les silos deviennent serres
Les silos horizontaux de 1 800 m2 au sol seront transformés en serre, grâce à une toiture transparente. Ils serviront pour la production de fruits et légumes. Le silo vertical produira aussi des aliments. « Il y aura trois étages, et chaque étage sera dédié à une production différente en fonction de la luminosité », indique Arnaud Grymonprez, en charge du projet à la coopérative. La Scael est ici le chef d’orchestre, mais ne porte pas directement les investissements et n’exploitera pas le site. Pour la production, elle s’est rapprochée de deux start-up bien connues dans l’agriculture urbaine, UpCycle et AMP (Aquaponic Management Project).
La première s’est spécialisée dans la production de champignons sur marc de café et dans le compostage. UpCycle collecte déjà 5 à 10 t de marc de café par semaine dans les entreprises. Ce déchet est transformé en substrat pour produire des pleurotes sur un site à Saint-Nom-la-Bretèche, dans les Yvelines. La start-up, créée en 2011, propose également des solutions de compostage aux collectivités, comme l’explique Arnaud Ulrich, codirigeant d’UpCycle. « Les biodéchets sont composés à 80 % d’eau. Leur transport coûte cher. Nous proposons d’installer des composteurs électromécaniques, avec brassage, à différents points en ville pour obtenir un compost local. »
Sur le site d’Olis, UpCycle pourrait produire des champignons, 2 à 4 t par semaine, issus non pas de marc de café mais de céréales. Ils seraient vendus à Chartres ou Rungis. L’entreprise devrait aussi gérer la matière organique du site, notamment les biodéchets des particuliers. « Travailler avec des spécialistes de l’agriculture est pour nous très intéressant. Nous allons pouvoir adapter nos concepts citadins à un grand projet », ajoute Arnaud Ulrich.
5 000 m2 en aquaponie
Aquaponic Management Project se positionne sur un autre créneau : la production de salades et de poissons grâce à des circuits en aquaponie. Pascal Goumain, gérant d’AMP, œuvre dans le secteur de la pisciculture depuis trente ans. « Face aux difficultés de développer l’élevage de poissons en eau douce ou en mer, je me suis tourné vers l’élevage hors-sol. Après plusieurs années de recherche, nous avons développé un concept d’aquaponie : en circuit fermé, l’eau des poissons apporte des nutriments aux salades et autres plantes. » Une première ferme « aquaponique » de 100 m2 a été mise en place à Cherbourg (Manche) en 2018, une autre de 400 m2 a vu le jour à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine) en 2019. À Chartres, le projet est dix fois plus grand, avec près de 5 000 m2 de cultures. Un des trois silos sera réservé à la transformation du poisson et des légumes. AMP a déjà recruté un responsable pour ce projet. Reste à la Scael à trouver un exploitant pour la parcelle de maraîchage.
Un projet à 30 M€
En 2017, la coop estimait ce projet à 30 M€. La Caisse des dépôts pourrait participer au financement. Pour Arnaud Grymonprez, « les schémas juridiques avec les partenaires sont complexes et restent à finaliser ». Éric Brault ajoute : « Le plus important pour nous est d’intégrer nos adhérents à ce projet, que ce soit au travers de la vente de produits locaux ou par d’autres moyens. » Cet automne, une partie du site de collecte devrait être démolie. Le nouveau quartier devrait voir le jour dans 5 à 7 ans. Loin de son métier de collecteur, la Scael s’inscrit ainsi encore plus comme un acteur du territoire… urbain.
Aude Richard
Pour accéder à l'ensembles nos offres :